Articles sur le livre "La révolte du pronétariat"

Témoignage : le paradoxe du blog d’arrondissement ou la vie d’un blogueur

Le blogueur, sachant bloguer et ayant étalé pendant plusieurs mois sa vie et ses états d’âme sur son blog personnel, se demande quand même à quoi tout cela peut bien servir. Ainsi est née l’idée du blog d’arrondissement. Ne plus parler de soi, parler des autres, dans leur proximité. Créer ou recréer des liens sociaux. Regarder et raconter ce qui se passe devant chez soi. Permettre aux habitants de se réapproprier la vie citoyenne, en leur fournissant d’autres informations. Parler de choses dont on ne parle jamais. Simplement dire la vie proche. De l’utopie réaliste.

Pour le blogueur standard, se transformer en blogueur d’arrondissement n’est pas chose facile. Concilier ses attentes, voire ses exigences personnelles, avec celles supposées des lecteurs, être fidèle à ses opinions dans le souci permanent de respecter aussi celles des autres, s’ouvrir à des sujets inconnus, se fixer donc des règles de conduite, font partie du travail préalable. Constance, persévérance, honnêteté et qualité de l’information, voilà ce qui vous anime. Utopie encore.

Se muer en Tintin de quartier pour le citoyen ordinaire change non seulement l’approche de la vie locale – il est aux aguets - mais aussi son organisation personnelle. Être sur le terrain nécessite d’être prêt à chaque instant, aussi la moindre sortie ne peut-elle se faire qu’équipé du minimum professionnel, à savoir bloc, stylo et appareil photo numérique. Ne pas oublier la petite carte de présentation du blog. On acquiert vite des réflexes conditionnés.

Le blogueur d’arrondissement a ses joies et ses peines, comme tout un chacun.

Être réceptif à la vie locale, phénomène qu’implique la nécessité de raconter, provoque aussi une ouverture dans la connaissance du microcosme dans lequel vous vivez. Regarder des enfants dans les ateliers de peinture du mercredi, assister à des meetings politiques, vous qui les avez fuis depuis toujours, découvrir le foisonnement de la vie associative, être invité à des inaugurations officielles, voire à des conférences de presse, voilà qui apporte beaucoup, dans ce monde si cloisonné. Joie du contact. Le blogueur a le temps. Il peut venir, revenir, prendre son temps, discuter pour mieux connaître les gens, mieux appréhender les situations. Il met en confiance, et voit que ça marche. Il est bien accueilli. Joie de s’apercevoir, au travers du petit compteur de visites, que vous êtes lu, et de plus en plus lu. Pas de gloire là dedans, mais pas d’hypocrisie non plus, être lu fait plaisir.

Déceptions aussi. Vous qui rêviez de commentaires, voire de débats, vous voilà bien dubitatif devant l’inertie de vos lecteurs. Peine aussi, quand, au travers d’un commentaire assassin vous reprochant de ne vous intéresser qu’à tel ou tel quartier de l’arrondissement, vous proposez au lecteur chagrin de devenir un honorable correspondant de son quartier, et qu’il vous renvoie sur les roses. Déception encore, quand vous vous apercevez qu’un tel, pourtant si sympathique, a essayé de vous manipuler, vous qui, de fait, n’êtes pourtant pas grand-chose.

N’allez pas croire que la vie du blogueur d’arrondissement soit une sinécure ! Celui-ci est débordé. Rapide revue de presse, lire ce que les collègues des autres blogs d’arrondissement ont écrit, un coup d’œil sur les sites plus ou moins institutionnels, la journée commence. Ne pas oublier, à 11heures, l’inauguration de la nouvelle crèche en présence du Maire, passer voir l’avancement des travaux du Quartier Vert en cours de réalisation, continuer l’enquête sur les équipements des squares pour les petits, ah, ne pas oublier de passer dans cette très belle association de réinsertion de gens en difficulté, ni le vernissage d’un artiste peintre du quartier. Ce soir, petit meeting politique, et discussion avec le député. N’oublions pas la conférence de presse de la RATP, qui inaugure ses nouvelles stations avec services clients, justement dans l’arrondissement.

Le soir, le blogueur d’arrondissement est crevé. Mais comme il doit aussi gagner sa vie – ah oui j’oubliais, le blogueur d’arrondissement est bénévole, c'est-à-dire libre – il lui faut bien travailler à la maison. Il va se coucher à 2 heures du mat, fondu.

Le lendemain matin, tout recommence. Un rapide coup d’œil au petit compteur indique une légère diminution du nombre des visites la veille. Rien de bien grave, ça ira mieux demain. Dans sa boîte à mails, le blogueur d’arrondissement trouve un message en provenance de Limoges. Un Monsieur, la cinquantaine, a trouvé son blog facilement par Google (petit plaisir). Le Monsieur est en passe d’acquérir dans l’arrondissement un petit studio pour sa fille de vingt ans qui vient poursuivre ses études à Paris. Il vous demande, à vous, après lecture attentive de votre blog, votre avis sur les questions de sécurité dans le quartier. Le blogueur d’arrondissement sourit.

Par Didier Vincent (Paris Neuvième)